
Le thème vous plaît ? Ne vous arrêtez pas en si bon chemin. Brains Agency a réuni ici quelques livres, podcasts et vidéos pour vous. Et une exposition à découvrir jusqu’au 6 janvier 2019 à Lafayette Anticipations….
Pour vos oreilles !
En écho à notre questionnement sur la place du « moi » dans l’espace numérique : Narcisse, mon beau Narcisse Je, où es-tu ? Les chemins de la philosophie, France Culture, Adèle van Reeth
Comment passe-t-on de Narcisse, personnage mythologique, au narcissisme, stade nécessaire au développement de l’enfant en psychanalyse ? En quel sens est-il à la fois nécessaire et dangereux de se contempler longtemps dans le miroir ?
Toujours sur France Culture et toujours dans les Chemins de la Philosophie, l’interview par Adèle Van Reeth de François De Smet que nous avons rencontré
A voir :
À travers un ensemble d’œuvres qui investit tous les espaces d’exposition de la Fondation, le travail de Simon Fujiwara aborde l’importance que notre société accorde aux médias de masse et à la fétichisation de l’expérience individuelle dans une ère de révolution technologique. Il se conçoit comme une réponse à la fois complexe et critique autour des questions de l’omniprésence de la représentation de soi aujourd’hui.
Lafayette Anticipations
– Fondation d’entreprise Galeries Lafayette
9, rue du Plâtre F -75004 Paris
Plus d’infos : https://www.lafayetteanticipations.com/fr/exposition/revolution
Des livres !
Charles Taylor, Les sources du moi, Le Seuil
Les Sources du moi est un ouvrage magistral sur l’identité moderne. Il en dresse un tableau saisissant sans en taire ni la grandeur ni la misère, et il tente de la définir en en retraçant la genèse. Cette généalogie remonte à saint Augustin, passe par Descartes et Montaigne et se prolonge jusqu’à aujourd’hui. Il s’agit de comprendre cette révolution inouïe qui a fait que les modernes se voient comme des êtres doués d’intériorité, comme des « moi » ayant une profondeur. Loin de pouvoir se ramener à l’essor de l’individualisme libéral, cette histoire est celle d’une très longue quête pour définir et atteindre le bien. Au cœur de cette définition, on trouve ce que l’auteur appelle l’affirmation de la vie ordinaire. La montée en puissance de cette valeur, retracée ici de ses origines dans la Réforme jusqu’aux formes qu’elle prend de nos jours, aura profondément transformé notre conception de la Raison.
Ce livre d’histoire des idées, d’une grande érudition, ne saurait être séparé du combat, philosophique et politique, que mène l’auteur depuis de nombreuses années au nom du communautarisme. Il s’agit de défendre la modernité, moins contre ses détracteurs, que contre la philosophie libérale qui prétend seule en porter les couleurs. Trouvant son apogée dans l’œuvre majeure de John Rawls, Théorie de la justice(Seuil, 1987), celle-ci est accusée de faire bon marché de l’exigence de cohésion sociale et de ne s’intéresser qu’à la liberté des individus et à la justice dans la répartition des richesses. A cette abstraction du libéralisme, Taylor oppose une démarche qui fait fond sur le monde de l’expérience, l’analyse des faits, l’autoconception de la société telle qu’elle est vécue par les gens, leur imaginaire social.
L’idéologie moderne se caractérise par la subordination de la réalité sociale à l’individu, considéré comme un être absolument indépendant et autonome. Cette idéologie distingue les sociétés occidentales des autres qui, au contraire, subordonnent l’individu à la totalité sociale.
C’est la genèse religieuse et politique de cet individualisme européen qui est ici étudiée, depuis ses origines chrétiennes jusqu’à ses développements les plus récents.
En reprenant les éléments de la méthode de Marcel Mauss, Louis Dumont dessine une anthropologie de l’homme moderne et démonte les mécanismes de l’idéologie individualiste.
Louis Dumont (1911-1998) : Docteur ès lettres, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales, il a écrit plusieurs ouvrages devenus aujourd’hui des classiques, parmi lesquels Homo hierarchicus (1967) et Homo aequalis (1977-1978).
Richard Sennett, Les tyrannies de l’intimité -The Fall of Public Man- Le Seuil, 1979
Aujourd’hui, le maître-mot est « authentique », non pas tant dans le sens premier de « fidèle à ses origines », mais dans celui, dérivé, de sans apprêt, sans fard, quasi transparent. C’est ainsi que nous sommes curieux de biographies détaillées : quel est le « vrai » caractère d’une star, d’un homme politique ? Nous nous surprenons même à voter moins sur un programme et une action passée, que pour ou contre un homme tel qu’à la télévision il a su ou non nous inspirer confiance. Tout à cette quête quelque peu narcissique, nous fuyons avec ennui l’étude des mécanismes sociaux « impersonnels », des « froides » statistiques, laissant ainsi à peu de frais le pouvoir aux élites qui nous gouvernent.
Remontant au XVIIe siècle, Richard Sennett montre comment et pourquoi nous avons perdu peu à peu ce qu’il appelle l’ « homme public », celui qui savait garder entière sa liberté derrière le masque de son rôle social. A refuser comme inauthentique l’épaisseur du tissu social, on se livre sans défense à la pire des oppressions. La communauté est destructrice, l’intimité tyrannique.
Christopher Lasch, La culture du narcissisme, Flammarion 2018
La culture occidentale est en crise. Le Narcisse moderne, terrifié par l’avenir, méprise la nostalgie et vit dans le culte de l’instant ; dans son refus proclamé de toutes les formes d’autorité, il se soumet à l’aliénation consumériste et aux conseils infantilisants des experts en tout genre.
Aujourd’hui plus que jamais, l’essai majeur de Christopher Lasch frappe par son actualité.
Décortiquant la personnalité typique de l’individu moderne, Lasch met en lumière ce paradoxe essentiel qui veut que le culte narcissique du moi en vienne, in fine, à détruire l’authentique individualité.
Christopher Lasch déroule le fil d’une analyse souvent subtile, nourrie de psychanalyse et de sociologie ; sa critique du mode de vie contemporain et d’une pensée de gauche complice du capitalisme est radicale, mais non sans espoir, car elle est pénétrée de la conviction que la conscience de l’histoire peut redonner du sens à un monde qui n’en a plus.
Je, Une traversée des identités, Clotilde Leguil, Collection: Hors collection PUF 2018
Il y en a aujourd’hui qui haïssent le « Je », qui déclarent sa fin prochaine, ou même sa disparition accomplie. Il y en a qui préfèrent le « Nous », l’identité qui peut se partager ; d’autres encore qui préfèrent le « Il » scientifique, l’identité qui peut se compter. Comment alors continuer à être « Je » lorsque l’époque tend à faire disparaître la nécessité d’un rapport subjectivé à son existence ? Le narcissisme de masse se présente paradoxalement comme un effort pour continuer à exister en première personne dans le monde uniforme de la mondialisation. Mais ce narcissisme de masse n’est-t-il pas un autre piège ? Le déchaînement des passions sur les réseaux sociaux, la mise en scène de sa vie privée, le partage de son intimité, nous aident-ils vraiment à retrouver notre singularité perdue dans l’univers irrespirable de la quantification de soi et de la marchandisation des expériences ? Parier sur le « Je » offre une autre voie que le narcissisme. Parier sur le « Je », c’est accepter de miser sur la parole et le langage, c’est continuer de croire avec Freud et Lacan dans les messages de ses rêves et de ses cauchemars, c’est ne pas suturer la dimension de l’inconscient. Parier sur le « Je », c’est faire une traversée : la traversée des identités.
Pourquoi donc sommes-nous si accrochés à notre maigre « je » ? Pourquoi refusons-nous d’accepter les leçons les plus radicales des neurosciences ou de la psychologie cognitive à propos de notre « identité » ou de ce que nous aimons à considérer comme notre « libre arbitre » ? Quel mal y aurait-il à accepter que nous soyons le résultat de déterminations qui nous dépassent – et que nos choix ne soient que des coli-fichets ayant pour seule fonction de nous rassurer ? Dans Lost Ego, François De Smet répond à toutes ces questions de la meilleure manière qui soit : en mettant le doigt sur les peurs qui continuent à nous voir nous accrocher aux reliques de notre « moi » en miettes et que nous refusons de regarder en face. Non, nous n’existons pas – mais c’est précisément parce que nous n’existons pas que nous pouvons trouver le moyen de vivre. Seuls, et surtout ensemble.
Nous vivons un nouvel air du temps. À la révolte des années d’expansion succèdent aujourd’hui l’indifférence et le narcissisme ; à la logique de l’uniformisation succèdent la déstandardisation et la séduction ; à la solennité idéologique succède la généralisation de la forme humoristique. Nouvel âge démocratique se traduisant par la réduction de la violence et l’épuisement de ce qui fait depuis un siècle figure d’avant-garde.
Avec ce nouveau stade historique de l’individualisme, les sociétés démocratiques avancées sont situées dans l’âge «postmoderne».
Histoire de la sexualité III Le souci de soi, Michel Foucault, Gallimard, 1984
Le troisième et dernier volume de l’histoire de la sexualité est consacré à la formation de l’individu telle qu’elle a été développée à travers des textes souvent peu analysés – Artémidore, Galien, le Pseudo-Lucien -, mais déterminants dans la mise en place d’une finalité générale de la culture qui culmine dans l’émergence d’une personnalité singulière, capable de faire le meilleur usage de son corps et de son esprit harmonieusement éduqué pour le rendre à même d’assumer les fonctions politiques auxquelles il est d’emblée destiné. Le souci de soi n’est pas égoïsme étroit, mais recherche de la vie selon un ordre qui assure la pérennité de la Cité, et que l’on cherche à déduire de la nature telle qu’on en comprend les lois. Foucault se révèle ainsi en quête de rétablir certains liens, rompus par la modernité, avec une tradition antique classique qu’il nous fait redécouvrir.
Le moi et le ça, Sigmund Freud , Petite Bibliothèque Payot
« Mais une autre constatation est beaucoup plus étrange… » (Sigmund Freud)
Avec ce texte capital, Freud crée en 1923 une nouvelle géographie du psychisme qui permet de penser le monde moderne. S’appuyant sur Le Livre du Ça que Georg Groddeck vient de faire paraître, il y définit les trois instances qui vont révolutionner la théorie psychanalytique : le moi, le ça et le surmoi. Mais c’est aussi dans cet ouvrage qu’il teste la validité de l’hypothèse de la pulsion de mort élaborée trois ans plus tôt, qu’il revient sur le concept de bisexualité, qu’il expose une forme « complète » du complexe d’Œdipe, et qu’il aborde le thème de l’idéal, si important pour comprendre la vie psychique des adolescents et, plus généralement, le « moteur » de notre existence.
Une lecture à compléter par Le stade du miroir comme formateur de la fonction du je, telle qu’elle nous est révélée, dans l’expérience psychanalytique. Communication faite au XVIe Congrès international de psychanalyse, à Zurich le 17-07-1949. Première version parue dans la Revue Française de Psychanalyse 1949, volume 13, n° 4, pp 449-455. A lire ici http://ecole-lacanienne.net/wp-content/uploads/2016/04/1949-07-17.pdf
Alone Together: Why We Expect More from Technology and Less from Each Other, Sherry Turkle, 2017
Technology has become the architect of our intimacies. Online, we fall prey to the illusion of companionship, gathering thousands of Twitter and Facebook friends, and confusing tweets and wall posts with authentic communication. But this relentless connection leads to a deep solitude. MIT professor Sherry Turkle argues that as technology ramps up, our emotional lives ramp down. Based on hundreds of interviews and with a new introduction taking us to the present day, Alone Togetherdescribes changing, unsettling relationships between friends, lovers, and families.
Siri Hustvedt, Les Mirages de la certitude Essai sur la problématique corps/esprit, Actes Sud Sciences humaines Hors collectionMars, 2018
Les Mirages de la certitude entend explorer l’insoluble problème du rapport corps/esprit qui hante la philosophie occidentale depuis la Grèce antique. En écrivant cet essai, mon souhait était surtout de montrer au lecteur, de la façon la plus claire possible, que les questions portant sur la nature de l’“esprit” par opposition au “corps” restent ouvertes, et sont loin d’être tranchées. Assez tôt, au cours de mes aventures dans le champ des neurosciences, j’ai été amenée à poser des questions simples aux scientifiques que je rencontrais. Pourquoi se servent-ils d’expressions comme “corrélats neuronaux”, ou, plus déconcertant encore, “représentations neuronales” ? De quoi ces neurones sont-ils le corrélat, ou la représentation ? Pourquoi toutes ces métaphores empruntées à l’informatique pour décrire des actions du cerveau ? Leurs réponses étaient tout sauf claires. La problématique corps/esprit est un vaste sujet – c’est le moins qu’on puisse dire. Mais mon intention, à travers cet essai, n’est pas d’en résumer l’histoire, ni de résoudre la question : il s’agit bien plutôt d’attirer l’attention du lecteur sur les différentes façons dont cette vieille énigme philosophique influence les débats contemporains en de nombreux domaines. (…) Je me suis donc donné pour mission de mettre en évidence les myriades d’incertitudes qui subsistent et de montrer que chaque discipline, qu’elle appartienne à la famille des sciences dites “dures” ou à celles que l’on qualifie de “molles”, est en partie tributaire d’éléments qui transcendent les frontières de la rationalité – à savoir le désir, la croyance, et l’imagination. »